Les espaces de parole pour le personnel hospitalier : oui, mais encore ?
Plusieurs membres de l'ABCi accompagnent des étudiants dans la réalisation de travaux de fin d'études. Ces recherches effectuées entre les murs des universités et des hautes écoles nous semblent pertinentes à partager largement. Nous rédigeons dès lors des "Fiches de lecture" synthétisant les travaux les plus interpellants pour les professionnels de la communication interne.
C'est le cas du mémoire rédigé par Coralie Waeyenbergh (UCL, année académique 2017-2018), intitulé « Les espaces d'expression en milieu hospitalier et leur impact sur le bien-être au travail du personnel infirmier ».
Ce mémoire étudie les risques psychosociaux et leur impact chez les infirmiers/ères en milieu hospitalier. L’auteure s’intéresse à la communication comme moyen de prévention et de gestion de ce phénomène.
De l’analyse effectuée sur le terrain, il apparaît ainsi que les espaces de parole constituent un outil important d’amélioration du bien-être au travail. A condition toutefois de respecter un certain nombre de principes !
Tel est le but du présent article : examiner ces différents principes afin de les transposer dans d’autres secteurs d’activités.
1400 personne veulent quitter la profession !- Selon le service indemnités de l’INAMI, le nombre de burn-out en Belgique entre 2010 et 2015 a doublé, portant le nombre de cas à 28.000 sur 400.000 personnes indemnisées en 2017. - Selon une étude menée par la KUL en 2013 auprès de 37 hôpitaux belges, il ressort que sur 5 883 médecins et infirmières, 6,6% (soit 383 personnes) souffraient de burn-out et 13,5% (soit 787 personnes) appartenaient à des groupes présentant un risque. - De même, il apparaît que 1 400 personnes (médecins et infirmier(e)s) ont avoué vouloir quitter la profession (parmi lesquelles 1 146 infirmier(e)s). |
Bienfaits de la parole
Les avantages liés à la libération de la parole au sein d’une organisation sont de plusieurs ordres :
- la production de communication à l’intérieur d’une organisation, au travers des échanges et des conversations entre les membres du personnel, permet leur structuration et leur organisation (ex : possibilité pour le personnel de s’informer sur le travail, de se coordonner, d’échanger sur leurs pratiques,…) ;
- le bénéfice de la parole libre en milieu de travail est double. D’un côté, les employés arrivent à créer et à donner du sens à leur travail. De l’autre côté, la solidarité entre eux s’en trouve renforcée ;
- selon Deneux (voir bibliographie ci-dessous), les espaces d’expression seraient aussi (et peut-être d’abord ?) un lieu où l’individu peut émettre un appel d’aide vers ses collègues afin que ces derniers reconnaissent et valident le fait qu’il y ait un problème. Exprimer ce malaise et en obtenir une reconnaissance permet déjà de le soulager en partie, même si, bien évidemment, cela ne suffit pas ;
- échanger avec des collègues à propos de la pénibilité du métier permet de réfléchir à des solutions envisageables et consistantes dans le temps, à la fois pour le groupe, mais aussi et de manière indirecte, pour soi-même, en tant qu’individu.
Quel type d’espace de parole ?
Il existe une multitude d’espaces de parole. Pour Deneux, il doit s’agir d’espaces destinés à l’expression des employés, leur permettant ainsi de bavarder, d’extérioriser, de rire et de discuter. Ces espaces ’’lieux naturels de régulation et de décharges pulsionnelles’’ peuvent être physiquement délimités ou non, organisés ou improvisés, cadrés par la hiérarchie ou mis en place par le personnel lui-même, approfondis ou brefs.
Facteurs critiques de succès
Pour une mise en œuvre durable des espaces de parole, plusieurs conditions doivent être remplies :
- La motivation et le besoin des participants : « Pour s’engager dans la démarche, il faut en éprouver le profond besoin (…) l’intérêt intellectuel ne suffit pas.»(Deneux, 2008, para.29) ;
- La reconnaissance par la hiérarchie du besoin de ce type d’espaces et son soutien dans leur mise en œuvre est indispensable pour qu’ils durent. Cependant, il est également important que cette hiérarchie n’impose pas la manière dont le personnel s’approprie l’espace d’expression. En effet, un espace d’expression cadré par des règles strictes et des objectifs fixes dépossède l’individu de son utilisation et réduit les chances que l’expression se produise ;
- Le climat institutionnel et le management doivent être stables et sereins, ceci pour éviter que la hiérarchie du personnel infirmier ne se sente menacée par l’arrivée d’espaces d’expression (Deneux, 2008) ;
- toutes ces conditions préalables à la mise en oeuvre, au bon fonctionnement et à la durabilité des espaces d’expression ont un coût non négligeable en termes de temps et d’engagement. Pour Alain Deneux (2008, para.32), ce constat explique en partie la rareté de ces dispositifs : « Ces conditions minimales ne sont pas aussi simples qu’il paraît, elles exigent beaucoup des personnels et de l’institution hospitalière ; c’est sans doute pourquoi il y a si peu de groupes de parole à l’hôpital».
Les limites du dispositif
Si les espaces d’expression constituent une piste intéressante dans l’amélioration du bien-être au travail du personnel infirmier, ils possèdent aussi des limites susceptibles de menacer leur mise en place et leur durabilité.
Parmi celles-ci, figurent ainsi :
- les limites institutionnelles : l’organisation du service et des équipes, la vision managériale de l’organisation, les horaires et le roulement entre les membres du personnel, les vacances et les congés, le lieu mis à disposition par l’organisation (isolement, inconfort, etc.)… ;
- la motivation des personnels : en effet, « les motivations des personnels sont très inégales, leur engagement fluctuant, l’assiduité oscille d’une séance à l’autre. » (Deneux, 2008, para.25) …
Bibliographie
- Deneux, Alain (2008). Une pratique des groupes de parole de soignants à l’hôpital général. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe [En ligne], Vol. 50, No. 1, pp.123-132. DOI :10.3917/rppg.050.0123.
- Van Reeth, C. (29th January 2018). De plus en plus de travailleurs au bout du rouleau : 28.000 Belges souffrent de burn-out. Le Soir en ligne.
- Godderis, L., Vandenbroeck, S. (2013). Une étude sur le burn-out et l’enthousiasme chez le personnel médical et infirmier dans les établissements hospitaliers de Belgique. Projets de recherche – Service Public Fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale.