Jeu de société en entreprise : est-ce bien sérieux?
Jeu et entreprise. Voilà bien deux mots rarement associés. Evoquant deux univers que tout oppose, celui de l’enfance improductif et frivole, et celui des adultes, performant et sérieux, leur coexistence semble impossible.
Alors quand on nous dit que le jeu pratiqué en entreprise, non seulement est tendance, mais est aussi facteur de bien-être et d’augmentation des compétences des collaborateurs, nos belles certitudes vacillent. Et pourtant... Le jeu de société en entreprise était au centre de l'Atelier ABCi du 28 février 2019. Un grand merci à Geoffroy Simon et Nathalie Zandecki pour leur animation!
Pour débuter cet atelier ludique, quoi de mieux que de commencer…par un jeu ?! C’est ainsi que les participants, avant même de faire un tour des présentations, se retrouvent tous autour d’une table à tenter de rédiger ensemble leurs messages à l’aide d’un crayon un peu particulier (voir la vidéo).
Objectifs atteints : la glace est rompue, les rires fusent et le crayon, manié par les 6 volontaires, s’agite sur le papier pour répondre aux questions posées par les animateurs. L’atelier démarre fort, et dans une atmosphère on ne peut plus détendue !
Le jeu ? Qu’est-ce que c’est ?
Avant toute chose, explique Geoffroy Simon, de Game Spirit,il faut s’entendre sur ce qu’est un jeu et quelles en sont les composantes essentielles. La définition du Petit Robert « Activité physique ou mentale purement gratuite, qui n’a, dans la conscience de la personne qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure », nous dévoile le moteur du jeu, et c’est le plaisir.
Car sans plaisir, pas de jeu ! Au-delà de cela, d’autres éléments permettent de différencier le jeu d’activités qui lui ressemblent : la conscience qu’il s’agit d’un jeu et non de la réalité, la totale liberté de participation, l’existence de règles, l’incertitude quant à l’issue, la prise de décisions et l’absence de fin utilitaire.
Jeu de société et jeu « sérieux », même combat
Les marqueurs du jeu de société « sérieux » utilisé en entreprise sont les mêmes que ceux du jeu de société tout court. Seule l’intention sur son utilité diffère. Pour qu’il y ait jeu, il faut qu’il soit libre et sans conséquences pour le joueur. A ces conditions, le jeu peut être vecteur d’expériences.
Si le joueur sent que les conséquences de ses actes et décisions dans le jeu peuvent avoir une répercussion dans la réalité de l’entreprise, cela fausse la notion même du jeu et cela devient un outil de facilitation, voire de contrôle.
Une fois ces jalons posés, quelle est réellement la valeur ajoutée du jeu dans une entreprise ?
En jouant, on est acteur de la fiction proposée par le jeu. Les choix et les décisions prises durant le jeu serviront à conscientiser le joueur, lors de l’apport théorique d’après jeu, sur l’expérience qu’il a vécue et l’apprentissage qui en découle. Le simple fait de vivre l’apprentissage dans le jeu va consolider l’ancrage.
Un jeu comme Decrypto[1] travaille sur la complexité de la communication. Il apprend à construire, transmettre et décoder un message et sensibilise sur les questions de transmission de la communication.
Le jeu Timeline[2] adapté à l’histoire de l’entreprise, propose de renforcer l’appartenance, et permet de communiquer sur les codes de l’entreprise. Il peut également être utilisé pour comprendre les étapes d’un flux de communication ou d’une procédure technique.
Avec le Crayon coopératif[3], qui n’est pas un jeu mais est un outil de facilitation ludique, on voit opérer une kyrielle de possibles. Le simple fait de la nécessité de manipuler ensemble un crayon ouvre au dialogue et à la co-construction de décisions, de projets, de visions…. dans la communication
Le jeu, c’est avant tout du plaisir
Autre notion commune au jeu de société traditionnel et au jeu sérieux, c’est l’articulation autour du plaisir. Et celui qu’on a à jouer varie tellement d’un individu à l’autre (plaisir d’être ensemble, de se donner un défi, de planifier, de transgresser, de trouver des solutions,…) qu’il est possible d’établir une typologie du plaisir du jeu.
Sur base de celle-ci, on peut identifier les jeux qui dans une entreprise, conviendront pour développer ou ancrer certains types de connaissances, pour attirer l’attention des participants sur divers messages ciblés. Le jeu en entreprise se veut d’abord un vecteur de savoir au sens large, mais ne doit pas s’annoncer comme tel. Le moment sera venu, au terme du jeu, de mettre en avant pour les joueurs l’expérience qu’ils ont vécue, l’apprentissage qui en découle.
Le plaisir produit de la dopamine qui contribue à diminuer le stress et à améliorer le bien-être. C’est ce que le jeu produit aux joueurs qui procure les bénéfices et pas l’inverse. De cette manière seulement, il pourra renforcer la communication et la cohésion du groupe. Mais aussi renforcer les compétences et les savoirs, conscientiser et sensibiliser ou encore enrichir la créativité.
Attention au flop du jeu en entreprise
L’ambivalence du jeu, faussement synonyme de perte de temps et pas affirmé comme véhicule d’amélioration des performances, reste le premier obstacle à franchir pour « jouer » de manière franche et décomplexée en entreprise, et permettre le plaisir détaché de la réalité.
Passée cette phase, importante s’il en est, reste à définir « l’intention » sérieuse que l’on veut apporter : l’objectif et le message, le type de jeu pour quel public, le type d’interaction et de ressorts ludiques, etc. Et une série de points d’attention à éviter : l’obligation de jouer, le contrôle de l’entreprise sur les décisions des joueurs dans le jeu, l’existence de conséquences concrètes liées à la participation, les quizz ou jeux de parcours qui sont majoritairement des outils de facilitation détaché de plaisirs, etc.
Vous souhaitez continuer la réflexion ? Retrouves les "slides" de cet atelier dans la partie Membres de ce site.
[1] Decrypto, Thomas Dagenais-L’espérance, chez Le scorpion masqué, 2018
[2] Timeline inventions, Frédéric Henry, chez Asmodée 2010
[3] Crayon coopératif, Karl Schubert Werkstätten, chez Karl Schubert Werkstätten, 2011