Entretien croisé sur la Communication interne

Un article de Vincent Brulois - 24 février 2025

Entretien avec Jean-Marie Charpentier, Christine Donjean, Simon Mallette,

Vincent Brulois – L’Association belge de communication interne (ABCI) et l’Association française de communication interne (AFCI) ont été constituées de façon spécifique autour de la communication interne. Christine Donjean et Jean-Marie Charpentier, vous avez vu grandir ces deux associations et vous participez activement à leur développement. Dès lors, comment définir la communication interne ? Quelle est sa singularité par rapport à d’autres formes de communication de l’entreprise ?

Christine Donjean – Notre association professionnelle, l’ABCI, est née dans l’immédiat après-guerre, lorsque des journalistes européens se réunirent à Paris en 1948 sous la présidence de François Mitterand, alors secrétaire d’État à l’information. Les deux délégués belges revinrent enthousiasmés et se mirent au travail pour créer l’Union des Journaux d’Entreprise de Belgique, du Grand-Duché du Luxembourg et du Congo belge (!). Très vite, l’Union prend son essor, publie son premier bulletin d’information et énonce un objectif clair : « le but de notre Union peut se résumer en un seul mot : Entraide ». Elle communique alors en français et en néerlandais. Cette évocation historique montre que notre métier se reconnaissait alors dans la presse d’entreprise ; les communicants se nommaient d’ailleurs journalistes d’entreprise et avaient une carte de presse. Les membres étaient en réalité des chroniqueurs d’une époque où les 30 glorieuses commençaient. Et les progrès industriels, scientifiques, sociaux méritaient leurs chroniques admiratives. En 1967, l’Union devient « l’Association belge de la Presse d’Entreprise ». Le débat tourne alors autour de l’indépendance et de l’autonomie du journaliste d’entreprise.Si j’ai fait ce détour historique, c’est pour mettre en perspective le statut des communicateurs internes lorsque le grand tournant des années 1980-90 s’amorce. Il va progressivement faire des communicants des experts au service d’une stratégie d’organisation. Cette évidence, cette nécessité ne se sont pas faites sans une perte : celle de rendre compte de faits, d’informer avec rigueur et conscience. Et ce n’est pas Géraldine Muhlmann (2023) qui me contredirait, elle qui écrit :

Nous n’arrivons même plus à nous mettre d’accord sur les faits. L’échange des opinions est miné par cette conviction : À chacun ses faits. Vraiment ? Le travail de recueil de « faits », par une subjectivité soucieuse de les transmettre à d’autres subjectivités, ne renverrait à aucune histoire riche de sens ? […] La notion de « fait » est cruciale pour notre vie collective. Y renoncer, à l’heure ou menace, déjà, le « deep fake » […], c’est accélérer, la virtualisation du monde. Celle-ci est en cours. Il ne faut pas s’y résoudre.

Aujourd’hui, notre association – l’ABCI depuis 2008 – a pour ambition de promouvoir la communication interne comme acteur de dialogue et moteur de développement de l’organisation en développant une communauté de professionnels, en soutenant ses membres dans leur trajet de développement au travers d’échanges et de partages d’expériences et en participant à l’évolution des métiers de la communication interne. Et ce, en se basant sur des valeurs fortes : la passion, l’ouverture, l’entraide (toujours) et la proximité.

En 2017, nous avons également formulé de manière participative un Code de déontologie de la profession visant à baliser et à structurer la pratique de notre métier. Car nous ne perdons pas de vue que, dans les classements internationaux portant sur la confiance accordée aux principaux métiers, les communicateurs partagent avec les journalistes et les mandataires politiques le triste privilège de figurer en bas du classement.

Vincent Brulois – Simon Malette, votre activité professionnelle comme vos enseignements ont aussi à voir avec la communication interne. Même question : comment la définissez-vous ?

Simon Mallette – J’enseigne à la fois des cours sur la communication organisationnelle et des cours sur la communication interne. La différence peut souvent sembler mince, voire floue, pour les étudiants mais je dirais que dans mes cours sur la communication interne nous entrons dans le cœur et le ventre des entreprises alors que dans les cours de communication organisationnelle nous faisons plus un survol des principales perspectives et approches théoriques qui ont contribué à faire évoluer notre conception de ce qu’est une organisation. Autrement dit, selon moi, la communication interne c’est le volet pratique et appliqué de la communication d’entreprise. Elle doit servir à mieux comprendre et analyser le rôle de différents éléments internes, comme la circulation d’information, la collaboration, l’usage des technologies de l’information et de la communication, etc.

Vincent Brulois – Et comment est-elle organisée au Québec et au Canada ? Existe-t-il une ou des associations professionnelles constituées autour de la communication interne ?

Simon Mallette – Il n’existe pas à ma connaissance une association professionnelle spécifiquement pour le domaine de la communication interne. Au Québec, nous avons par exemple l’Association des Professionnels de la Communication et du Marketing (APCM) ainsi que l’Association des Communicateurs Municipaux du Québec (ACMQ). Comme leurs noms l’indiquent, toutes les deux ont pour mission d’accompagner les organisations dans leurs campagnes de relations publiques et autres actions en lien avec la communication externe. Au Canada, il y a l’Association Internationale des Professionnels de la Communication du Canada (IABC), ou encore la Canadian Public Relations Society (CPRS), qui sont aussi plus axées sur la communication externe et les relations publiques. Il existe toutefois plusieurs petites agences au Québec qui sont spécialisées dans des domaines telles que la marque employeur, la gestion de crise, etc. Je pense que cela illustre le fait que la communication interne est encore vue comme une spécialité, une discipline niche qui n’est pas encore tout à fait implantée dans les entreprises.

Pratiquer la communication interne dans une organisation transformée

Vincent Brulois – Pendant longtemps, la communication interne était le parent pauvre de la fonction Communication. Est-ce encore le cas ? Ou bien constatez-vous une évolution ? La pandémie de Covid-19 justement semble avoir changé la donne. Habituellement moins visible, la communication interne est devenue très concrète pour soutenir le collectif de travail. Cette nouvelle force tirée de la crise peut-elle s’inscrire dans la durée ? D’autant que la pandémie a aussi eu pour conséquence une recomposition des formes d’organisation du travail (télétravail, flex office, travail hybride). Alors comment pratiquer la communication interne quand unités de lieu, de temps et d’action ne sont plus la règle ?

Jean-Marie Charpentier – Je ne dirais pas que la communication interne est restée le parent pauvre de la communication. Au fil du temps, elle a su s’affirmer et faire valoir son utilité, notamment dans les phases de crise ou d’intenses transformations. Pour autant, elle a dû faire face – et elle doit encore faire face – à une conception totalisante de la communication sous l’empire de la marque. Je résume : il n’y aurait en définitive qu’une seule marque, donc une seule communication avec des déclinaisons externes et internes. Cette conception marketing unifiante, que promeuvent certaines agences ou qu’appliquent certaines entreprises, fait fi d’une réalité : la marque et l’entreprise, ce n’est pas exactement la même chose. Ce qui fonde l’entreprise, c’est un certain nombre d’acteurs parmi lesquels le collectif des salariés. Et ces salariés ne sont pas que les porteurs d’une marque, loin de là. Ils contribuent à faire l’entreprise.De ce point de vue, les crises ont cet intérêt, si j’ose dire, de ramener au réel de ce qu’est l’entreprise avec ses différents acteurs. La crise sanitaire que vous évoquez a reposé la question du travail et de sa continuité dans une phase critique. Les communicants internes y ont joué un rôle particulier. Leur utilité s’est trouvée renforcée, non seulement du fait de leur agilité à manier les outils digitaux dans la crise, mais surtout de leurs relations aussi bien avec le haut de l’entreprise qu’avec les équipes. Occupée par des professionnels qui interviennent souvent à bas bruit, la communication interne s’est manifestée dans la crise pour trouver avec d’autres, notamment les managers, des solutions au rapport nouveau entre distance et proximité dans le travail. Bien sûr, l’après-crise se traduit aujourd’hui par des flux et des reflux, mais on mesure, peut-être plus qu’avant, l’importance des agents du lien dans l’entreprise. Dans une époque où la désintermédiation joue à plein, on voit l’enjeu de maintenir du lien. Cela concerne les managers de proximité, mais aussi les communicants internes. D’ailleurs, leur association concrète est un défi intéressant dans la période. Simon Mallette – Comme l’indique ma réponse précédente, je pense en effet que c’est encore le cas. Par exemple, les gens à qui je parle, que ce soient mes étudiants ou des collègues qui travaillent en marketing, ont de la difficulté à faire la différence entre le rôle d’un professionnel de la gestion des ressources humaines (RH) et celui d’un responsable de la CI. Je dois constamment leur rappeler l’importance de cette discipline et leur faire réaliser qu’il y a de la communication interne dans tous les départements d’une entreprise au final, incluant bien entendu celui des RH. Christine Donjean – Quand on observe comment évoluent les organisations depuis une dizaine d’années, un constat s’impose. À l’heure des rachats et des fusions, à un moment où se développent des forces de décentralisation, d’atomisation des structures de travail, à l’heure où l’organisation subit de plein fouet la perte de repères, la régression du sentiment d’appartenance et d’identité, la compétition, la perte de valeur liée au travail, le déficit de légitimité de l’organisation, tout ce qui peut contribuer à rassembler les gens, à les faire participer à un projet d’entreprise commun, à un devenir imaginé et créé ensemble, revêt une valeur inestimable. Une organisation n’est pas la juxtaposition d’individus mais une intégration et une collaboration de personnes à un projet commun. La communication interne intervient dans ce processus, non seulement en informant les personnes de la stratégie et des objectifs de l’organisation, mais aussi en favorisant la connaissance des uns par les autres, en contribuant à augmenter leur motivation et leur implication dans la communauté de travail. La communication interne crée une relation entre l’organisation et les membres de son personnel, elle les invite à adhérer au projet d’entreprise et renforce les liens qui les unissent, où qu’ils soient et quel que soit leur statut, leur niveau de responsabilité et leur localisation dans l’organigramme. C’est en cela qu’elle constitue la meilleure alliée du management et le ciment le plus efficace de la communauté de travail.On comprendra dès lors que les maîtres mots de la communication d’entreprise sont l’honnêteté, le professionnalisme et la rigueur dans sa mission d’information, mais aussi la volonté de souder l’organisation, de soutenir le moral des gens et de les faire participer à l’aventure commune. C’est enfin d’œuvrer dans le sens des intérêts de toute la communauté de travail dans sa mission d’intégration. Finalement, que le personnel soit correctement informé des réalisations et de l’avenir de l’organisation, qu’il s’y sente respecté et valorisé, voilà l’essentiel. Compte tenu de cela, la communication interne gagne en importance dans les organisations, comme une sorte de contre-feu. Son statut est bien sûr une question de point de vue et de contexte et est donc éminemment variable d’une organisation à l’autre. La pandémie du Covid-19 a renforcé et mis en lumière l’utilité du lien que la communication interne assurait entre les membres présents et absents et a donc gagné à mes yeux en légitimité. Simon Mallette – Cette pandémie a vraiment permis de mettre la communication au premier plan selon moi, de montrer l’importance du domaine. Les défis et les enjeux que les entreprises ont rencontrés en essayant de s’adapter à un nouvel environnement numérique et à de nouvelles méthodes de travail ont ouvert les yeux a bien des gestionnaires, mais aussi à leurs employés qui se sont sentis brusqués, voire perdus, à travers une série de changements qui ont souvent été mal communiqués. J’ai l’impression qu’on a vécu une onde de choc dont on ne mesure toujours pas l’ampleur. Mais je crois que, dans la durée, cela sera positif. Les organisations doivent maintenant accorder du temps et de l’énergie à leur communication interne, notamment pour faire face au problème de pénurie de main d’œuvre qu’on constate à l’échelle mondiale. Ce ne sont pas les plateformes de travail collaboratif, les applications ou encore les outils qui vont avoir un impact à moyen ou long terme sur le travail des employés. Cela dépend plutôt à mon sens de la façon dont les organisations vont réussir ou non à adapter leur structure interne afin de profiter de ce qu’offrent ces moyens de communication, tout en s’assurant de maintenir une relation tangible avec leurs employés. Certes, le télétravail et le travail en mode hybride vont continuer d’apporter des questionnements et d’identifier des enjeux importants quant à la façon dont l’information doit circuler dans les organisations. Mais c’est là, selon moi, une opportunité pour celles-ci de dépoussiérer leurs façons de faire et de faire évoluer le rôle de la communication interne au sein de leur structure.

Sens de la communication interne dans un monde en transitions

Vincent Brulois – Loin de n’être qu’une seule affaire de transmission, la communication interne est aussi une affaire de relations. Cette dimension microsociale est à placer dans un contexte porteur d’enjeux culturels (évolution des pratiques langagières et du rapport au travail), sociaux (rapports de genres ou de générations, équilibre vie professionnelle/vie personnelle) et sociétaux (crises géopolitiques, économiques, écologiques). Quelles incidences peuvent avoir ces enjeux sur l’évolution de la fonction ? Dans quelle mesure la fabrique de sens des organisations répond-elle à la quête de sens des individus ? Qu’en-est-il des échanges en co-présence, des communications informelles, des interactions quotidiennes que la communication interne cherchait à favoriser ?

Jean-Marie Charpentier – La fonction communication interne a au fond un double rôle et cela depuis ses débuts. Il y a l’information et il y a ce qui relève de la relation et de l’interaction. Sur ces deux plans, il faut saisir les transformations à l’œuvre et les attentes des salariés. Ce qui se joue en matière d’information a à voir avec les faits qui concernent l’entreprise et avec le récit qu’on peut en faire. En entreprise, comme dans la société, l’infobésité se développe liée à des phénomènes d’accumulation. On nourrit les canaux et supports par des discours à flux continu là où il y aurait besoin de plus de tri, de sélection, de décantation et surtout de récit. L’entreprise manque de récit ; ou, quand il existe, il est quelquefois déconnecté des faits. La communication interne a un rôle décisif à jouer dans la mise en récit qui donne sens et perspectives à partir de ce que chacun peut appréhender dans les métiers. L’autre dimension-clé concerne la relation. Là encore, elle doit s’appuyer sur le réel de ce que vivent les salariés. Les communicants ont longtemps sous-estimé la part des échanges langagiers dans le travail. Dans l’univers des services, le travail est fait de beaucoup de communication. Ce socle d’interactions et de paroles au travail mérite d’être mieux appréhendé par les communicants. Il s’agit du réel de ce qui se dit au travail?[3]. Rappelons qu’on ne communique pas sur mais bel et bien dans. Dans l’entreprise, dans les services, dans les équipes. Communiquer dans suppose pour les communicants d’être non seulement à l’écoute, mais d’être aussi dans une proximité, physique ou d’intérêt, avec les acteurs de l’entreprise. Cela me semble fondamental. Le premier danger qui guette le communicant interne, c’est l’éloignement. En même temps, on peut être proche de quantité de manières aujourd’hui, y compris à distance. Simon Mallette – Je crois qu’ici la communication interne a un rôle crucial à jouer et que c’est une opportunité pour redorer le blason de ce domaine. J’ai encore l’impression que, dès qu’on parle de communication interne, les gens pensent immédiatement à des outils ; et des outils qu’ils jugent parfois dépassés tels que le journal d’entreprise, l’intranet, la note de service, etc. Pourtant, plusieurs entreprises tentent et arrivent actuellement à se démarquer et à attirer de nouveaux talents, soit parce qu’elles utilisent ces outils de façon innovante, soit qu’elles font le choix de les faire évoluer pour mieux répondre aux enjeux actuels de leurs parties prenantes. Que ce soit en permettant à leurs employés d’afficher les pronoms par lesquels ils et elles souhaitent être désignés sur le portail interne, ou en encourageant l’usage de l’écriture épicène, ou encore en créant des espaces de discussion pour aborder des sujets sensibles, je pense que les organisations ont beaucoup à gagner en développant des pratiques de communication qui sont le reflet des sociétés dans lesquelles elles évoluent.

La communication interne à la croisée des sphères professionnelle et académique

Tous les trois, vous avez été ou êtes encore des acteurs d’interface : un pied dans la sphère professionnelle, un autre dans la sphère académique. Quel regard portez-vous sur la place de la communication interne dans les formations universitaires à la communication ? Comment aborder l’enseignement de la communication interne auprès des étudiants et étudiantes ? Au-delà d’une seule vision opérationnelle, que leur transmettre ? Fort de votre ancrage, dans quelle mesure est-il nécessaire d’étudier cet objet et ces acteurs de façon transdisciplinaire ?

Jean-Marie Charpentier – Quand on regarde l’intitulé des formations universitaires en communication, la communication interne n’a sans doute pas la place qu’elle mérite. Elle est absorbée dans le grand tout de la communication. Non pas qu’elle soit absente, mais on ne la distingue guère, hormis quelques rares cursus, souvent aux frontières des RH d’ailleurs. Une réalité me frappe quant aux parcours des communicants. Je rencontre souvent des communicants qui ont fait le choix de la communication interne après différents postes dans la communication corporate. S’agissant des formations universitaires en communication, il importe qu’elles donnent aux étudiants suffisamment de bases pour comprendre ce qu’est une organisation, un système social, une culture professionnelle. Je suis profondément attaché à une approche pluridisciplinaire en communication. Il y a bien entendu les SIC (Sciences de l’information et de la communication) pour donner à comprendre ce qui se joue tant dans l’information que la communication. Mais les apports de la sociologie, de la psycho-sociologie ou de l’histoire m’apparaissent au moins aussi importants. Au sein de l’AFCI, nous avons déployé pendant des années une formation sur l’apport des sciences sociales à la communication ; des sciences sociales au pluriel. Nous avons d’ailleurs publié un livre? qui en rend compte en relation avec le vécu des communicants en entreprise. De la même façon, l’AFCI remet chaque année depuis 2010 un prix à un livre de sciences sociales qui entre en résonance avec nos préoccupations professionnelles. Là encore, avec une dimension pluridisciplinaire. Simon Mallette – Dans mes cours, ce à quoi j’accorde le plus d’importance est de joindre la théorie à la pratique. Je trouve dommage qu’on fasse souvent une séparation entre les deux. Je m’efforce donc de démontrer à mes étudiants et étudiantes comment ces deux dimensions se nourrissent mutuellement. C’est notamment le cas lorsque je fais venir des collègues du milieu professionnel au sein de mes cours pour qu’ils et elles fassent part de leur parcours et de leurs expériences de travail. Après ces interventions, j’anime toujours une période de questions qui vise à explorer comment ces professionnels utilisent de façon pratique certaines des notions et théories expliquées en cours dans le cadre de leurs activités. C’est toujours enrichissant. Cela permet d’en démontrer la pertinence aux étudiants. Autrement dit, c’est à la fois un défi et une opportunité que de pouvoir éveiller une curiosité et un regard critique chez de jeunes adultes qui vont ensuite vivre leurs premières expériences professionnelles. Selon moi, les cours sur la communication interne doivent non seulement préparer les étudiants à mieux comprendre les enjeux qu’ils et elles vont rencontrer sur le marché professionnel, mais aussi à leur démontrer que ce qu’ils et elles auront appris peut véritablement leur être utile tout au long de leur courbe d’apprentissage.

Dimension culturelle de la communication interne rôle d’une association professionnelle

Vincent Brulois – Christine et Simon, vous avez en commun d’œuvrer dans des mondes biculturels : francophone et flamand ou bien francophone et anglophone. D’un monde à l’autre, la communication interne est-elle perçue, pratiquée et structurée de façon similaire ? Le terme même de communication interne est-il utilisé ou remplacé par un autre ? Des liens existent-ils entre professionnels des deux communautés ?

Simon Mallette – Le terme communication interne prend de plus en plus de place au Québec, notamment parce que plusieurs des grandes entreprises, telles que Bombardier et Hydro-Québec par exemple, possèdent maintenant un département de communication interne bien distinct des autres branches de la communication présentes au sein de leur structure. Au Canada anglais, on utilise plus le terme corporate communication, qui, encore une fois, démontre que la distinction entre communication interne et communication organisationnelle est parfois floue. Pour avoir travaillé avec des entreprises possédant des bureaux dans différentes provinces du Canada, j’ai évidemment eu à faire face à des différences culturelles qui ont un impact sur la façon dont les messages et les canaux de communication vont être choisis pour les multiples parties prenantes. La fameuse notion des deux solitudes résume bien la situation au Canada. Souvent, l’équipe anglophone se plaint de ne pas voir reçu les mêmes informations que l’équipe du Québec, et vice versa. Il y a donc un travail important à faire, au-delà de la traduction et du choix des canaux de communication, pour que les entreprises canadiennes puissent gérer efficacement cet aspect. C’est bien à ce niveau que l’importance de la communication interne prend tout son sens. Christine Donjean – Pour ma part, j’ai effectivement eu l’occasion de travailler comme directrice de la communication dans deux entreprises internationales. La première, allemande et de dimension mondiale, m’a démontré comment pouvait s’exercer la communication interne dans un contexte de concertation systématique avec les syndicats. Non seulement j’assistais aux conseils d’entreprise et aux comités de prévention et de sécurité (CPS), mais la Direction considérait que les syndicats constituaient pour moi une source d’information légitime. Le dispositif de communication interne que j’y développais était donc ancré dans les réalités sociales et présentait de ce fait une crédibilité incontestable et une légitimité qu’aucun membre du personnel ne mettait en cause. Ma deuxième expérience internationale s’est déroulée dans une société anglo-américaine du secteur pharmaceutique. Les choses ont changé du tout au tout ! Non seulement on m’a dissuadée de rencontrer les syndicats et d’assister aux comités d’entreprise et aux CPS ; mais encore on m’a fait comprendre que mes seuls interlocuteurs siégeaient au comité de Direction. Dans ce contexte, développer un dispositif de communication crédible et légitime a été mon objectif prioritaire pendant toutes ces années. D’autant plus que des consultants et gourous anglo-saxons nous abreuvaient de leur littérature?. Quand on m’a demandé d’organiser l’affichage du cours de l’action et que la nouvelle charte de valeurs est arrivée toute faite des États-Unis, j’ai compris que ma limite était atteinte. Cela dit, dans ce contexte précis, la communication interne était considérée comme prioritaire et stratégique et dotée de moyens quasi illimités !Dans un contexte plus directement bi-culturel, en Belgique, divisée en deux communautés d’histoire, de culture et de langue différentes, j’ai observé – en particulier pendant mes activités à l’ABCI – combien les auteurs de référence en communication interne divergeaient. Côté néerlandophone, les auteurs anglo-saxons ont nettement la cote. En filigrane de leurs contributions, on peut discerner des fondements théoriques sur le rôle de la communication interne et son lien avec la performance et même la productivité, la mise en place et la légitimation de dispositifs de diversité et d’inclusion systématiques, l’écoute privilégiée des détenteurs de l’autorité managériale et la toute-puissance des consultants américains et britanniques. À l’inverse, côté francophone, les communicateurs me paraissaient bien davantage à l’écoute d’intellectuels français et québécois et enclins à se baser sur les écrits académiques, en particulier lorsqu’ils enrichissent leurs théories par des interventions sur le terrain. Avec le temps, cette divergence semble s’atténuer au fur et à mesure de l’apparition sur les réseaux sociaux de consultants francophones inspirés par des pratiques anglo-saxonnes. Mais, à mes yeux, celle-ci est encore bien présente.

Vincent Brulois – Une association professionnelle regroupe des praticiens et des praticiennes autour d’un métier commun, présentement la communication interne. Pour quoi faire ? Quel rôle peut-elle jouer dans le contexte économique actuel ? Les adhérents se renouvellent, les professionnels de la communication interne qui entrent aujourd’hui dans ce métier ont-ils des motivations différentes de leurs aînés à l’égard de ce métier et de nouvelles attentes à l’égard des associations professionnelles ?

Jean-Marie Charpentier – Créée en 1989 en tant que réseau professionnel, l’AFCI a porté dès le départ une approche étendue de la communication en entreprise. Loin d’une vision corporatiste, elle a cherché à situer les professionnels de la communication interne en rapport avec toutes les communications qui se déployaient dans l’entreprise. Conception ouverte et partagée de la communication que ce soit avec les dirigeants, les managers, les salariés. Cette conception, qui a pu, je l’ai dit, se trouver en tension avec des approches exclusives de gestion de la marque, permet de saisir les transformations de l’entreprise, les attentes des salariés. Au service des professionnels, l’AFCI est un lieu de mise en réseau, de partage de ressources et d’échange de pratiques de première importance. Je constate que les jeunes communicants qui nous rejoignent y sont sensibles. Une association comme la nôtre permet de sortir de sa boîte, de rencontrer des pairs et de se nourrir intellectuellement et pratiquement. Cela dit, l’entreprise est un milieu dur et la dureté managériale touche les communicants au même titre que les autres salariés. Le rôle de notre association est aussi, pour reprendre le mot d’une ancienne présidente, d’être un « abri » pour se retrouver, échanger et rebondir quand le vent des restructurations souffle fort.

 

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